La conférence de A. Mbembe à l’Université hébraïque

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Foto Stephanie Law / Flickr.com, (CC BY-NC 4.0)
Foto Stephanie Law / Flickr.com, (CC BY-NC 4.0)
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Le 15 septembre, l’Université Hébraïque de Jérusalem invite à participer à une conférence en ligne à propos du philosophe né au Cameroun, Achille Mbembe, qui enseigne à l’Université Witwatersrand de Johannesburg. L’invitation à cet événement dit qu’il se déroule à la suite de la récente campagne contre lui en Allemagne et de la dénonciation de ses travaux comme antisémites.

Par Manfred Gerstenfeld

Mbembe est correctement dénoncé pour son antisémitisme. C’est loin d’être la seule raison pour laquelle c’est une personnalité hautement problématique et négative. Alan Posener, éditorialiste au sein de l’hebdomadaire allemand Die Welt am Sontag, écrit: « Les travaux de Mbembe représentent une attaque total contre la tradition européenne des Lumières. C’est particulièrement vrai de son essai : Necropolitique« . Posener ajoutait : « Alors même que la période des Lumières elle-même n’est pas dépourvue de caractéristiques antisémites, l’antisémitisme des contre-Lumières est un facteur constitutif, comme l’antisionisme l’est aussi, tout comme Mbembe, qui est contre l’esprit des Lumières ».

Posener écrit: « Je ne sais pas ce que je considère comme le pire : l’antisémitisme de Mbembe ou son mépris pour les Lumières, sa critique injuste contre Israël ou sa critique injuste contre le libéralisme ». Posener affirme aussi que l’essai de Mbembe génère un floutage des différences établies entre « la résistance et le suicide », la  position de victime et la rédemption, le martyre et la liberté ». Il accuse Mbembe de « justification des attentats-suicide ». Posener a défini Mbembe comme un « nihiliste « .

Le débat public majeur en Allemagne a commencé il y a quelques mois, à la suite d’une invitation demandant à Mbembe d’être le principal orateur, le 14 août, lors de l’événement inaugural de la triennale allemande de la Ruhr. Ce festival musical et culturel était prévu pour se dérouler au cours du mois d’août et septembre 2020. Lorenz Deutsch, porte-parole du parti libéral FPD au Parlement de l’état fédéral Allemand de la Rhénanie du Nord-Westphalie, a écrit une lettre ouverte en mars, à la directrice artistique du festival pour lui demander de désinviter Mbembe.

Il faisait remarquer que Mbembe a écrit que le comportement d’Israël envers les Palestiniens est « pire que le traitement par l’Afrique du Sud de sa population noire sous l’Apartheid ». Mbembe est aussi un un partisan universitaire du BDS, même s’il le nie. Il a signé en 2010 une pétition appelant l’Université de Witwatersrand à rompre toutes les relations avec l’Université Ben Gurion.

Le commissaire allemand à l’antisémitisme, Felix Klein, a déclaré que le discours inaugural pour un festival aussi important ne pouvait être prononcé par quelqu’un qui avait fait preuve de relativisme concernant la Shoah. Le festival a été annulé en avril à cause de la pandémie de Coronavirus. Pourtant, l’affaire Mbembe ne s’arrête pas là. Il a publié un article qui contenait deux mensonges fonciers. Mbembe a prétendu avoir été attaqué parce qu’il est Noir. Cependant, cet aspect n’est absolument pas apparu au cours de la discussion le concernant. La seconde fausse déclaration disait que les attaques contre lui ne provenaient que de l’extrême-droite. En réalité, la plupart des attaques provenaient des courants de pensée principaux de la société allemande.

Plusieurs autres aspects supplémentaires de l’incitation produite par Mbembe contre Israël sont revenus à la surface. L’un concernait le fait qu’il avait réussit à faire désinviter une universitaire israélienne lors d’une conférence à l’Université de Stellenbosch en Afrique du Sud. Mbembe avait rendu sa propre présence conditionnelle au fait qu’elle-même ne puisse pas assister au symposium.

L’invitation de l’Université hébraïque de Jérusalem au Congrès scientifique dissimule tout cela et plus encore. Elle prétend qu’elle vise à revisiter la contribution de Mbembe à notre compréhension des relations Palestine-Israël. En d’autres termes, le séminaire voudrait comprendre comment ce nihiliste, ce partisan de la démocratie minimaliste, cet incitateur anti-israélien extrémiste peut nous aider à mieux décrypter le conflit israélo-palestinien. Pour autant qu’on le connaisse, Mbembe n’a rien publié sur la glorification du génocide, du meurtre et de la mort au sein de la société palestinienne. Les universitaires sérieux pourraient considérer cela comme un inconvénient majeur à toute éventuelle contribution au thème de ce séminaire.

Pas tant pour les organisateurs de l’Université Hébraïque. Ils écrivent qu’ils « souhaitent explorer à quel point ses œuvres pourraient être employées pour analyser les princiaples occurrences et dynamiques avec des références à la Naqba et à ses conséquences, les territoires palestiniens occupés de 1967 ou concernant le régime israélien en général. Nous espérons que cet événement ouvrira l’opportunité d’introduire différents aspects de ses travaux en direction des universitaires locaux, qu’ils soient basés sur le très célèbre « Nécropolitique » (2019) ou d’autres interventions ».

Dans cette caricature d’introduction académique, divers autres aspects des interventions de Mbembe ne sont pas mentionnés dans l’invitation à ce Congrès scientifique. Elle ne fait pas, non plus, référence à sa comparaison scabreuse entre la Shoah et l’Apartheid.  Mbembe a fini par admettre qu’il y avait une différence quantitative entre les deux événements. Posener a réagi en écrivant que c’était fondamentalement faux : « La Shoah n’a pas été une forme plus grosse d’Apartheid, et ce qui est encore plus important, l’Apartheid n’a pas été une version minime de Shoah. Il ne s’agit en aucun cas d’un processus quantitativement différent, mais de deux processus qualitativement divergent. 

Autrefois, admettons, il y a quelques décennies, on pouvait supposer que les universités faisaient progresser l’avancement du savoir. En se fondant sur les connaissances existantes, on pouvait développer un aperçu supplémentaire à travers une enquête impartiale. C’est encore vrai  pour une partie de la communauté universitaire, y compris les humanités et les sciences sociales. Pourtant, il n’en va pas ainsi  pour les initiateurs de ce symposium. Au lieu de quoi, ils essaient, semble t-il, de développer un savoir supplémentaire en ne mentionnant pas des éléments essentiels de l’information existante.

Il subsiste encore un aspect particulièrement odieux. Les organisateurs du colloque font la promotion, à travers Mbembe, d’une personne en faveur du boycott d’une autre université israélienne, et qui a provoqué l’annulation de l’invitation d’une universitaire israélienne à une conférence en Afrique du Sud. Pourtant, le problème n’est pas à quel point cela affecte l’image des organisateurs, qui se sont disqualifiés eux-mêmes sur le plan universitaire, par cette invitation au colloque. La question la plus importante est que cela ternit durablement une institution académique respectable : l’Université Hébraïque.

Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme. Adaptation : Marc Brzustowski.