Le 1er avril, j’ai reçu un e-mail me disant qu’il y avait deux postes de post-doctorants disponibles dans un projet intitulé : “Proxénètes, Prostituées et Militants Juifs dans un cadre transnational allemand et britannique -1875-1940”. L’annonce disait que l’étude se déroulera conjointement mée par des chercheurs du Département d’histoire à l’Université Quenne Mary de Londres et au Centre de Recherche sur l’Antisémitisme à l’Université Technique de Berlin. Ce projet débutera à l’automne 2020 et durera deux ans et demis. Les financements pour ce faire o,t été mis à disposition par le Conseil de Recherche sur les Arts et les Humanités du Royaume-Uni (AHRC) et la Fondation Allemande pour la Recherche (DFG).
Par Manfred Gerstenfeld
J’ai transmis cette information à une de mes connaissances qui enquête également sur l’Antisémitisme. Je l’ai alertée sur le fait que, comme l’information m’avait été envoyée le 1er Avril, le jour des Poissons d’Avril, il pouvait s’agir d’une farce. Quand j’ai aperçu le sujet de l’étude sur le site internet de l’Université Queen Mary, il s’est avéré que c’était bien un projet de recherche authentique. L’explication du contexte de ce projet disait : “Ce projet tirera partie de l’expertise d’un groupe de projet spécialisé dans l’étude du genre, de l’antisémitisme et des migrations, enfin d’investiguer le phénomène de l’implication juive dans les trafics sexuels… Largement négligé par les historiens de l’histoire juive et l’histoire de l’antisémitisme, ce projet de recherche visera au-delà des cadres institutionnels qui gouvernaient la vie quotidienne des prostituées juives à l’époque de la grande migration juive, afin de révéler une nouvelle interprétation de la mobilité internationale à l’ère de la globalisation moderne.”
Berlin est la capitale européenne de antisémitisme. Une très large gamme d’attitudes antisémites et anti-israéliennes s’y dévoilent. Elle comprend des dizaines de cas d’agressions physiques contre des Juifs, y compris des Rabbins. Les élèves juifs ont dû quitter les écoles publiques après des abus extrêmement graves. 35% de Berlinois perçoivent les Israéliens comme analogues aux Nazis. Une parade du Jour d’Al Quds se déroule à Berlin une fois l’an, appelant clairement à la destruction d’Israël.
Le Centre d’étude de l’Antisémitisme de l’Université Technique de Berlin (ZfA) a été créée en 1982. Il affirme focaliser ses activités sur la recherche interdisciplinaire multiple de l’antisémitisme, dans le passé et au présent. L’environnement extrêmement malsain de Berlin offre d’énormes défis permettant d’étudier des questions contemporaines pour un centre sur l’antisémitisme.
Le ZfA miné par les scandales a été confronté à des critiques majeures au fil des ans, par exemple, pour avoir employé un chercheur qui travaillait pour une organisation faisant la promotion d’un groupement parrainé par le régime iranien et appelant à la destruction de l’Etat Juif. Comme l’a présenté Efraïm Zuroff du Centre Simon Wiesenthal : “Peut-on imaginer qu’on fasse quelque chose comme ceci en Iran. (A quoi bon) mettre en place un institut afin d’étudier l’antisémitisme et inviter des antisémites pour y travailler?”. Ce centre a aussi été critiqué pour avoir mis sur un pied d’égalité antisémitisme et “islamophobie”.
Dans ce cadre, consacrer des ressources humaines et financières pour étudier les proxénètes juifs et les prostituées juives d’il y a de nombreuses décennies est bien pire qu’une simple plaisanterie de poisson d’avril. C’est l’acte d’une institution dont les cercles dirigeants semblent avoir perdu complètement le sens moral du monde réel de la ville dans laquelle ils sont censés agir : la capitale de l’antisémitisme en Europe.
L’effet d’annonce de cette étude mal calibrée est survenu quelques semaines après la parution d’un article dans le quotidien Frankfurter Algemeiner Zeitung, par Jeffrey Herf, un éminent professeur de l’Université du Maryland. Il avait alors attaqué à l’arme lourde un précédent article, dans le même journal, écrit par la présidente ac tuelle du ZfA, Stefanie Schüler-Springorum. Elle avait prétendu que dans le but de “saisir son sujet en globalité”, la recherche sur l’antisémitisme devait être interdisciplinaire et comparative, et devait aussi bien se focaliser sur d’autres formes d’exclusion. Stefanie Schüler-Springorum déclarait aussi que la recherche sur l’antisémitisme était déchirée par les controverses politiques.
Herf a réagi en attestant que les chercheurs prédominants aux Etats-Unis, Europe et Israël s’accordent à dire que l’antisémitisme d’après-Seconde Guerre mondiale découle de trois principales sources : le communisme (et la gauche radicale qui en émane), l’idéologie islamiste et l’antisémitisme de l’extrême-droite chrétienne (ou païenne). Il ajoutait que le ZfA avait, depuis des décennies, rejeté ce consensus scientifique et démontré peu d’appétence à prendre au sérieux l’antisémitisme d’extrême-gauche et l’antisémitisme islamiste.
L’article au vitriol de Herf se poursuivait en affirmant que le ZfA se situe en-dehors du consensus général. Il traite très rarement des communistes, des gauchistes radicaux ou des Islamistes. Il soulignait également que le Centre se localise très près des archives de l’ancienne Allemagne de l’Est. Pourtant aucun chercheur n’a jamais publié une ligne sur les divers types d’attaques menées par l’Allemagne de l’Est dans le but de détruire Israël.
Herf va plus loin en déclarant que l’accusation unilatérale contre Israël pour l’ensemble des conflits du Moyen-Orient, qui a été promue par le bloc communiste et la gauche radicale en Europe au cours de la Guerre Froide, survit aujourd’hui par “l’indignation sélective” du mouvement BDS envers Israël (exclusivement). Cette animosité d’extrême-gauche envers le Sionisme edn Israël se présente sous le masque d’un anti-racisme. L’ironie de tout cela repose sur le fait que l’instauration d’Israël a ranimé la peur antijuive ancestrale la plus profondément enfouie du monde occidental : le mythe d’une nation de Juifs puissante, armée et malfaisante.
Selon Herf, l’antisémitisme islamiste d’après la Shoah a pris la suite (du Nazisme), façonné principalement par le Grand Mufti de Jérusalem, Haj Amin Al-Husseini, dans les années 1930 et 1940 ; l’idéologue prédominant des Frères musulmans, Sayyid Qutb, dans les années 1950-1960 ; le régime des Mollahs iraniens et la charte du Hamas depuis 1987 et ensuite – tous fondant leur idéologie sur une lecture sélective du Coran et des Hadiths.
Cette tradition fanatique a, depuis vingt ans, instigué des attaques contre les Juifs d’Europe et organisé ouvertement des manifestations antisionistes à travers l’Allemagne. Herf conclut en disant que la recherche internationale sur la Shoah traite avec les “trois facettes de antisémitisme” réunies et, par conséquent, elle n’est pas “déchirée” par des controverses internes, comme le prétend Schüler-Springorum.
Dans le but de mieux comprendre les échecs du ZfA à prendre en compte avec des éléments fondamentaux de l’antisémitisme contemporain et de ne s’intéresser qu’aux “proxénètes juifs et aux prostituées juive” d’un passé éloigné, on doit aussi regarder lke point de vue de Wolfgang Benz, qui a dirigé le Centre de 1990 jusqu’à 2011. En 2014, Benz a prétendu , dans une interview, dans l’hebdomadaire Die Zeit , que l’antisémitisme n’avait pas augmenté en Allemagne. Il a fait ces allégations, malgré les agressions contre les Juifs et les sites juifs au cours de l’opération israélienne Tzuk Eitan à Gaza.
En 2018, un reporter du quotidien allemand Bild a suspendu des drapeaux israéliens dans des zones réputées “à problèmes” de plusieurs villes allemandes. Deux jeunes avaient alors descendu un drapeau et tenté sans succès d’y mettre le feu. Bild l’illustrait comme une preuve de l’antisémitisme musulman. Benz a réagi en disant : ” Le fait d’abaisser des drapeaux israéliens ne fait pas de vous un antisémite”.
Lors d’une interview de 2019, Benz n’a dit qu’une chose concernant les Palestiniens : “L’empathie pour la population civile de Palestine occupée n’est pas de l’antisémitisme”. Il n’a pas ressenti le besoin de mentionner les courants principaux à tendance génocidaires, parmi les Palestiniens ni la glorification du meurtre des Israéliens comprenant des civils. Benz a aussi exprimé l’idée fausse que ceux qui considèrent le noyau dur du mouvement de boycott comme antisémite, sont fanatisés et ne disposent plus de leurs facultés de jugement objectif.
Dans une interview en 2020, Benz a prétendu que 95% des crimes de haine contre les Juifs étaient perpétrés par des extrémistes de droite et non de nouveaux arrivants. Il est aberrant que Benz, l’expert en antisémitisme, ne sache pas que ces statistiques allemandes sont manipulées. Dans la moitié des incidents antisémites, on ne connaît pas les auteurs. Ils sont alors supposés être des extrémistes de droite par les autorités.
Le ZfA situé dans Berlin, capitale de l’antisémitisme en Europe, se trouve dans la position unique de pouvoir pleinement étudier l’explosion d’antisémitisme du siècle nouveau. Cela devrait comprendre une analyse des raisons pour lesquelles plusieurs millions d’Allemands comparent mensongèrement les Israéliens aux Nazis. Un adulte sur trois dans les rues, tient de tels points de vue. Mais plutôt que de s’attaquer à ce problème, le ZfA gaspille ses efforts et intègre dans ses activités-phares un projet historique, qui s’est achevé, en réalité, il y a plus de 80 ans et qui, au premier abord, a toutes les apparences d’un mauvais Poisson d’Avril.
Article préalablement paru sur le site du Centre Begin-Sadate : besacenter.org Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme. Adaptation: Marc Brzustowski. Première publication par Jforum.fr