Shoah : les Pays-Bas admettent à demi-mots leur lâcheté

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Le Joods Kindermonument (en français, le monument des enfants juifs) est un monument de la commune de Rotterdam, dans la province néerlandaise de Hollande-Méridionale, conçu pour commémorer l'arrestation et la déportation de 686 enfants juifs de la ville, en 1942 et 19432. Foto Hanno Lans, CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=56812399
Le Joods Kindermonument (en français, le monument des enfants juifs) est un monument de la commune de Rotterdam, dans la province néerlandaise de Hollande-Méridionale, conçu pour commémorer l'arrestation et la déportation de 686 enfants juifs de la ville, en 1942 et 19432. Foto Hanno Lans, CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=56812399
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Le Premier Ministre hollandais, Mark Rutte, a, assez soudainement présenté  des excuses plutôt tardives, au nom de son gouvernement, pour les défaillances des autorités néerlandaises envers les Juifs au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Il l’a fait au cours d’une allocation, durant les commémorations nationales de la Shoah à Amsterdam, le 26 janvier. Cet événement se démarque radicalement de la politique menée durant de lonfgues années, où lui et ses prédécesseurs trouvaient diverses raisons pour s’empêcher d’admettre la vérité à propos de la mauvaise conduite répandue par la Hollande en temps de guerre. Cela correspond à une culture bien enracinée de l’élite néerlandaise, qui évite fréquemment de reconnaître quelque erreur que ce soit, dont les plus graves. Cette attitude permet à l’élite hollandaise de faire la morale à autrui de manière arrogante.

Par Manfred Gerstenfeld

Par cela, même si cela se présente bien tardivement, le seul gouvernement d’Europe occidentale qui ne l’avait pas encore fait, va ainsi pouvoir commencer à dire la vérité sur la façon dont les dirigeants de sa nation ont trompé leurs citoyens juifs pendant l’occupation allemande. En Europe occidentale, les Pays-Bas ont été le pays qui a connu le pourcentage le plus élevé de victimes juives au cours de la Shoah. Quand les Allemands ont conquid la Hollande en 1940, il y vivait 140.000 Juifs ; 102.000 d’entre eux ont été assassinés par les occupants au cours de la guerre.

Ceux qui ont été déportés vers les camps de la mort en Pologne, ont été arrêtés par des policiers néerlandais, transportés par des trains hollandais et gardés par la police militaire des Pays-Bas dans le camp de transit de Westerbork. La plupart de ces Juifs déportés provenaient de familles qui avaient vécu aux Pays-Bas depuis plusieurs siècles.

En 1995, le Président français Jacques Chirac avait déclaré lors d’un aveu public de la vérité bien plus détaillé que celui récent de Rutte : “La France a commis l’irréparable. Elle a trahi sa parole et livré ceux qu’elle protégeait à leurs bourreaux. Nous maintenons à leur égard une dette inoubliable “. Deux ans plus tard, le Premier Ministre socialiste français, Lionel Jospin s’était montré encore plus explicite en disant : “Pas même un seul soldat allemand n’avait été nécessaire pour commettre ce déshonneur“.

En mars 1995, quelques mois avant la reconnaissance de la vérité par Chirac, la Reine Beatrix des Pays-Bas de l’époque s’est rendue en visite en Israël. Elle s’était exprimée devant la Knesset en disant qu’il y avait eu beaucoup de Hollandais pour résister contre les Allemands, mais qu’il y avait des exceptions et que “Le peuple des Pays-Bas n’avait pas pu empêcher la destruction de ses fidèles concitoyens juifs[4]“. C’était une version passée au blanchiment de la vérité. Elle aurait dû ajouter quelque chose comme : “Même les choses limitées que nos autorités auraient pu faire, elles ne l’ont pas fait. Notre gouvernement en exil à Londres s’est abstenu de donner des instructions aux responsables néerlandais sur la façon d’agir face au ordres des Allemands concernant la persécution des Juifs. Ma Grand-Mère, la Reine Wilhemine a aussi gravement manqué à ses devoirs élémentaires. Elle n’a pas fait appel à la population hollandaise afin qu’elle aide les Juifs qui voulait trouver des cachettes”.

Rutte est premier Ministre des Pays-Bas depuis 2010. Il a paralysé tous les efforts de voir le gouvernement offrir des excuses à la communauté juive néerlandaise. En janvier 2012, le quoitidien hollandais à présent disparu, De Pers,  a consacré sa page de une et une seconde à la question des excuses. Cet article était basé sur deux interviews tirées des annexes de mon livre de 2011 : Judging the Netherlands: The Renewed Holocaust Restitution Process 1997-2000. Dans ce livre, les anciens vice-Premiers Ministres Els Borst –  assassinée en 2014 – et Gerit Zalm, déclaraient qu’ils soutiendraient publiquement LE gouvernement hollandais si celui-ci présentait ses excuses à la communauté juive.

Ce même jour, les députés du Parti des Libertés, Geert Wilders et Raymond de Roon ont posé des questions parlementaires au Premier Ministre. Ils lui ont demandé pourquoi les Pays-Bas ne présentaient pas d’excuses à la communauté juive pour le mauvais comportement du gouvernement au cours de la Shoah. Peu de temps après, l’Associated Press a publié deux articles sur ce manque de reconnaissance et d’excuses du gouvernement hollandais, qui s’était fait épinglé par de multiples organes de presse à travers le monde, des USA à la Chine.

Rutte s’en est sorti avec une réponse à côté de la plaque. Il a fait référence à une déclaqration du gouvernement hollandais datant des années 2000. Cependant, les excuses présentées à la communauté juive par l’Etat à cette époque n’avaient aucun lien avec la période de la guerre. Elles avaient trait au processus formaliste, bureaucratique et dénué d’empathie, pris par le processus des restitutions d’après-guerre. Même ces excuses n’étaient que des demi-vérités, alors qu’elles prétendaient que cette attitude inacceptable n’avait pas été intentionnelle, excepté dans un seul cas. Il y avait, cependant, déjà beaucoup de cas bien renseignés, dans lesquels on constate que la politique néerlandaise d’après-guerre envers les Juifs était tout-à-fait délibérée.

Rutte a aussi répondu que son gouvernement ne voyait aucune raison de présenter des excuses, parce qu’il n’y avait pas de conseil assez soutenu de la part de la communauté juive pour qu’il en aille ainsi. C’est une réponse extrêmement maladroite et mal conçue. Les victimes n’ont pas à demander des excuses aux successeurs légaux de ceux qui ont gravement failli. On attend de ceux qui sont en faute qu’ils présentent leurs excuses de leur propre initiative.

En 2012, un sondage démontrait que deux-tiers du peuple hollandais s’opposaient au fait que leur premier Ministre présente ses excuses à la communauté juive pour la mauvaise conduite de leur gouvernement en exil à Londres en temps de guerre. Seulement 27% des sondés étaient en faveur d’excuses de ce genre.

Au début de 2015, les parlementaires Joram van Klaveren et Louis Bontes, du petit parti Voor Nederland, ont, à nouveau, demandé à Rutte de présenter ses excuses à la communauté juive, pour les errements du gouvernement en temps de guerre. Dans sa réponse, Rutte a sèchement mentionné la déclaration désinvolte de la Reine Béatrix de Hollande devant la Knesset, en 1995. S’il y avait eu à l’époque au moins un journaliste hollandais qui avait vérifié ce que disait la Reine, il aurait pu publier que le gouvernement de son pays ne tenait sur rien du tout.

Les excuses aussi soudaines que récentes sont importantes. A présent, les successeurs des autorités déficientes et les victimes -dont certaines seulement sont encore en vie – sont d’accord sur l’histoire de cette lâcheté.

Les excuses de Rutte sont demeurées d’une nature plutôt générale. On devra encore attendre pour assister aux excuses des chefs de la police -puisque la plupart d’entre eux ont été des collaborateurs de tout premier plan pour les occupants – et de la Cour Suprême dont les prédécesseurs du temps de guerre ont failli de façon radicale envers les Juifs. Rutte aurait aussi dû mentionner que le gouvernement était responsable de la lâcheté de la Reine Wilhemina et de bien plus encore. Ces sujets peuvent représenter un défi pour ses futurs discours.

Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme. Adaptation: Marc Brzustowski. Première publication par Jforum.fr