L’antisémitisme consistant à déformer ou inverser la Shoah

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Torhaus des KZ Auschwitz-Birkenau, Aufnahme kurz nach der Befreiung 1945. Foto Bundesarchiv, B 285 Bild-04413 / Stanislaw Mucha / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=5337694
Torhaus des KZ Auschwitz-Birkenau, Aufnahme kurz nach der Befreiung 1945. Foto Bundesarchiv, B 285 Bild-04413 / Stanislaw Mucha / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=5337694
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Beaucoup de sujets contemporains sont grandement fragmentés. C’est caractéristique de notre temps, une période qu’on appelle souvent “postmodernité”. En lien avec cela, l’antisémitisme s’est, lui aussi, scindé en de nombreux sous-thèmes. Par conséquent, cet éclatement rend plus difficile d’obtenir une vision globale de cette explosion de haine, que par le passé, quand l’antisémitisme classique se focalisait sur les Juifs comme étant les adhérents d’une religion et à partir du dix-neuvième siècle comme un peuple.

Par Manfred Gerstenfeld

L’essentiel de l’antisémitisme contemporain est dirigé contre Israël. Cela ne veut, cependant, pas dire qu’il n’y a pas eu de nouveau développement dans l’antisémitisme classique. Beaucoup d’évolutions majeures concernent la Shoah et son histoire.

La distorsion qui a, le plus, attiré l’attention du public est la négation de la Shoah. Elle peut prendre diverses formes. L’un de ces mensonges consiste à dire que les Allemands n’ont pas utilisé& de chambres à gaz pour tuer les gens. Cette allégation est souvent accompagnée par une deuxième fausse affirmation, disant que la majorité des Juifs sont morts, au cours de la Seconde Guerre Mondiale, de maladies contractées dans les camps. La minimisation de la Shoah prétend qu’il y a eu bien moins de 6 millions de Juifs à avoir été tués.

Une déformation d’un genre différent concerne le détournement de la Shoah. Les nations ou les individus qui l’ont perpétrées peuvent admettre que la Shoah a bien existé, mais pourtant ils dénient leur complicité ou la part de responsabilités de groupes ou d’individualités spécifiques. En d’autres termes, ils font porter le poids de la Shoah sur d’autres. Par exemple, les autorités polonaises ne nient pas la réalité de la Shoah. Pourtant, une bataille publique tenace s’est déroulée dans le pays contre l’affirmation que des Polonais ont tué ou livré de nombreux Juifs, sans compter qu’ils ont tué plus de Juifs que d’Allemands au cours cde la 2nde Guerre Mondiale. La ville de Jedwabne, où les villageois ont tué presque tous les Juifs présents, sans l’intervention des Allemands est devenue un symbole majeur de participation polonaise à la Shoah.

Un type différent de déformation de la Shoah est, encore une fois, sa déjudaïsation. Cela consiste en une variété de manipulation de la mémoire. On peut y procéder, par exemple, en minimisant le caractère juif des victimes. L’Union Soviétique a mené une politique pour dé-judaïser la Shoah en intégrant les victimes juives parmi les locales. On ne prêtait alors aucune attention au fait qu’elles avaient été tuées parce qu’elles étaient juives. Une autre sous-catégorie de cette distorsion de la Shoah provient de l’extension de la Shoah au point d’inclure beaucoup de gens autres que les Juifs, qui ont été assassinées ou tuées au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Les actions contre d’autres groupes avaient effectivement un caractère génocidaire, mais pourtant, ne visaient pas leur extermination systématique et totale.

Une déformation allant encore plus loin peut être appelée l’équivalence avec la Shoah. Les équivalences d’avant-guerre et durant la guerre avec la Shoah sont basées sur des allégations disant que le comportement génocidaire des Allemands au cours de la Seconde guerre mondiale était identique à celui d’autres nations  avant et durant la guerre. Les auteurs de ces partis-pris mensongers visent à blanchir ou diminuer l’ampleur des crimes allemands.

La variante d’après-guerre de l’équivalence avec la Shoah se fonde sur la prétention qu’il y aurait beaucoup d’événements lors des décennies passées, qui sont similaires en nature ou équivalents aux crimes commis par l’Allemagne sous la férule d’Hitler. L’un des aspects de cette allégation largement mensongère consiste à rendre interchangeables le Nazisme et le communisme. Ces déclarations unilatérales qui peuvent comparer un individu avec Hitler tombe également dans cette catégorie. Au cours des décennies passées, des détracteurs extrémistes ont parfois comparé les présidents américains avec le führer allemand. C’est également vrai concernant le Président Donald Trump.

On pense communément que le pire type de déformation de la Shoah en est sa négation. Pourtant, il en existe une variante encore plus malveillante. On peut l’appeler plus justement l’inversion de la Shoah. Ce type d’abus découle de l’équivalence avec la Shoah, mais elle vise spécifiquement les Juifs et Israël. Les inverseurs de la Shoah prétendent fréquemment qu’Israël se comporte envers les Palestiniens de la même façon que les Allemands se sont comportés envers les Juifs durant la IIème Guerre Mondiale.

Un sondage conduit dans un certain nombre de pays de l’Union Européenne, demandant si les Israéliens ont l’intention d’exterminer les Palestiniens, a démontré que plus de 150 millions sur 400 millions d’adultes de l’U.E répondent par l’affirmative. Ce sont des opinions antisémites enragées. Cela démontre aussi à quel point les plus d’un millénaire d’imbrication entre l’antisémitisme et la culture européenne se manifeste sous une forme contemporaine qui a opéré sa mutation.  Les catégories apparemment contradictoires de négation et d’inversion de la Shoah peuvent parfois même se retrouver associées ensemble dans le monde arabe.

Un autre type de distorsion de la Shoah concerne la banalisation (trivialisation). C’est un instrument au service de militants ayants des motivations idéologiques ou politiques, afin de produire des comparaisons de phénomènes qu’ils opposent à la destruction à l’échelle industrielle des Juifs, au cours de la Seconde Guerre Mondiale, par les Allemands et leurs Alliés. La ‘Shoah des animaux” est l’un de ceux que l’on entend fréquemment. Elle prétend comparer l’abattage industriel des animaux au génocide des Juifs. On parle par ailleurs de “Shoah climatique”, de “Shoah nucléaire” et de “Shoah de l’avortement”.

La Banalisation de la Shoah se manifeste également par son insertion croissante dans vaste ensemble d’événements disparates qui n’ont aucun lien avec le génocide des Juifs. D’autres adaptes patentés de la banalisation opèrent pour des considérations artistiques ou commerciales, exacerbés par le désir d’attirer l’attention ou même de la provoquer.

Centre d’extrême Gauche pour la Beauté en Politique (ZPS) : les “militants ont prétendu que l’urne ou colonne contenait les cendres de victimes de la Shoah

Un cas récent s’est présenté, lorsque le Centre d’extrême Gauche pour la Beauté Politique (ZPS) a installé une colonne devant le Parlement allemand à Berlin. Les individus à l’origine de cette “initiative” ont prétendu qu’elle contenait les cendres de victimes de la Shoah.

Une autre catégorie très générale de distorsion de la Shoah s’exprime le mieux par le terme “d’effacement de la mémoire de la Shoah”. Elle peut comprendre des actes, tels la volonté de ternir ou de détruire des lieux de mémoire, ou encore de déranger des cérémonies relatives à la Shoah. En janvier 2020, le quotidien officiel de l’Autorité Palestinienne, ‘Al-Hayat al-Jadida’ a publié un éditorial appelant ses lecteurs à commettre des meurtres pour stopper les événements consacrés à la 75ème année depuis la libération du camp d’Auschwitz.

Pourtant, une autre activité d’effacement tente de transformer les cérémonies de mémoire de la Shoah en des événements généraux du souvenir. Une autre manifestation de la tentation d’effacement de la mémoire de la Shoah consiste à “réduire la Shoah au Silence”. Elle est constituée de déclarations prétendant que les Juifs parlent trop souvent de la Shoah. Une variante de cette accusation dit que les Juifs abusent de la Shoah pour atteindre divers objectifs. Il y a aussi des attaques indirectes contre la commémoration de la Shoah, qui visent les lieux de mémoire juifs. On en trouve un exemple dans la suppression de cimetières juifs dans divers localités.

La grande diversité des cas cités dans la liste ci-dessus devrait nous enseigner une autre leçon apparemment sans lien direct. Il y a un besoin impérieux d’une énorme expansion des études sur l’antisémitisme. Ce qu’on a souligné ci-dessus n’est juste qu’un domaine de la haine multiforme des Juifs et d’Israël.

Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme. Adaptation: Marc Brzustowski. Première publication par Jforum.fr